The ambassador’s post serves as a reply to an article published in Le Monde under the title, “Orbán rewrites the history of the Holocaust in Hungary.” Historian Jean-Pierre Filiu claims in his article that Hungarian Prime Minister Viktor Orbán “has embarked on a vast undertaking to revise the history of the Holocaust” in preparation for his 2022 re-election.
In his post, the ambassador reflects on these allegations and calls attention to the difference between facts and history. As he writes, “Facts are facts; they can only be acknowledged, and in no case ‘rewritten’.” And the facts are clear: In the spring of 1944, hundreds of thousands of Hungarian Jews were deported by the Hungarian authorities at the time and murdered by the German authorities at the time.
The international community has judged these facts to be so horrible that they made their denial and understatement a punishable crime, which is perfectly justified, writes Ambassador Károlyi.
However, history is quite another cup of tea, he says. History is not an exact science. To suggest the existence of an “untouchable history” is tantamount to a totalitarian approach to history, which denies the raison d'être of this academic discipline. Thus, Viktor Orbán's historiography is as honorable as that of Jean-Pierre Filiu or any other observer concerned with reflecting upon past events.
The editors of Le Monde did not answer the ambassador’s request to be granted right of reply. The complete text, in the original French language, follows:
La Hongrie, la Shoah, Orbán et la « réécriture de l’Histoire »
Dans un blog intitulé « Orban réécrit l’histoire de la Shoah en Hongrie » publié sur le site du Monde, l’historien et arabisant Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po et rattaché au CERI, affirme que le premier ministre de la Hongrie « s’est lancé dans une vaste entreprise de révision de l’histoire de la Shoah » dans la perspective de sa réélection en 2022. D’après l’auteur, « Orban s’est employé depuis de longues années à réhabiliter l’amiral Horthy, régent du royaume de Hongrie de 1920 à 1944, qu’il a qualifié, en 2017, d’ « homme d’Etat exceptionnel ».
Sans vouloir m’attarder sur la surprenante mise en relation de la Shoah avec les élections législatives hongroises de 2022, ni sur les commentaires polémiques de l’auteur sur la « régression démocratique » que connaîtrait ce pays – dont je lui laisse l’entière responsabilité –, je voudrais plutôt réfléchir sur un sujet bien plus important : l’usage de la notion de « réécriture de l’histoire », qui n’est pas nouveau, et qui appelle de ma part quelques commentaires.
Commençons par distinguer les faits de l’histoire. Les faits sont les faits, ils ne peuvent être que constatés, en aucun cas « réécrits ». Dans le cas de la Hongrie et de la Shoah, les faits sont clairs : au printemps 1944, un nombre indéterminé (437 000, 565 000, plus, moins, peu importe, à notre connaissance c’est même 600 000) de Juifs hongrois ont été déportés par les autorités hongroises du moment et assassinés par les autorités allemandes du moment. Ces faits ont même été jugés tellement horribles par la communauté internationale que leur négation ou leur banalisation a été rendue pénalement répréhensible. C’est tout à fait justifié.
Le gouvernement hongrois, par la bouche de tous ses responsables, s’est exprimé à d’innombrables reprises sur ce sujet. L’année dernière encore, lors de la visite à Budapest du premier ministre israélien B. Netanyahu, M. Orbán a déclaré devant ce dernier : « dans une période passée, le gouvernement de la Hongrie a commis une faute, un crime même, lorsqu’il n’a pas défendu les citoyens hongrois d’origine juive. Je voudrais affirmer très clairement que pour nous l’obligation de tout gouvernement hongrois est de protéger tous ses concitoyens, indépendamment de leur origine. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Hongrie n’a pas satisfait à cette obligation, elle n’a pas satisfait à cette obligation morale et politique. C’est un crime. Car nous avons alors choisi la collaboration avec les nazis au lieu de la protection de la communauté juive. Je peux vous assurer que cela ne se reproduira plus jamais ». Voilà pour la constatation et la reconnaissance des faits. Il n’y a ici rien à « réécrire ».
Le reste est l’Histoire, avec un grand H. L’Histoire n’est pas une science exacte. Pour cette raison, elle s’écrit en permanence. Son écriture par Viktor Orbán vaut celle par Jean-Pierre Filiu ou par tout autre observateur soucieux de réfléchir sur des faits passés. Suggérer qu’il existe une « Histoire intangible », écrite d’une encre indélébile par une plume infaillible et qu’il serait sacrilège de « réécrire » est une approche totalitaire de cette science qui en nie la raison d’être.
Rendre hommage au vainqueur de Verdun, comme le faisait François Mitterrand, ne signifie pas réhabiliter l’homme de la collaboration. Rendre hommage à l’homme qui a porté sur ses épaules l’immense responsabilité de sortir la Hongrie du désastre d’une guerre perdue, de l’épouvantable traumatisme causé par le dépeçage du pays par le traité de Trianon, de l’invraisemblable chaos de la dictature bolchévique de Béla Kun ne signifie pas réhabiliter le dirigeant qui, à la fin, s’est retrouvé pris dans l’engrenage infernal qui n’a épargné aucun esprit, aucune conscience.
Horthy a été au pouvoir en Hongrie à une époque où le pays a dû, au prix d’un effort surhumain, se sortir d’une situation à laquelle peu de nations auraient survécu. Le reconnaître n’est pas injustifié. Elle l’a dû aux hommes d’honneur – les premiers ministres Bethlen, Gyula Károlyi, Teleki, Kállay – en qui le régent avait placé sa confiance.
Et si, au cours de cette période, la Hongrie s’est trouvée poussée dans les bras de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie, les puissances alliées démocratiques, victorieuses de la guerre, n’y ont-elles pas été pour quelque chose ? Ou bien cela non plus, on n’a pas le droit de le dire, c’est de la « réécriture » ?
Traduit par les Etats-Unis devant le Tribunal de Nuremberg en 1945, aucune charge n’a été retenue contre Horthy. S’il a été accueilli au Portugal par le dictateur Salazar, c’est parce qu’aucun Etat démocratique de l’époque n’avait été disposé à l’accueillir.
La reductio ad hitlerum est un grand classique de ceux qui veulent noyer leur chien en l’accusant du coronavirus – pardon, de la rage. Ils n’en sortent pas grandis. L’appliquer au chef du gouvernement de la Hongrie ne peut que susciter une profonde indignation et doit être rejeté avec la plus grande fermeté.
Georges Károlyi Ambassadeur de Hongrie